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Illustration de "Le pont du milieu" , ecrit et interprété par Farid Chopel ©
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Affichet du spectacle "Le pont du milieu" , écrit et interprété par Farid Chopel ©

Le Pont du milieu

Théâtre Rive gauche.
Du mardi au samedi à 19 h,
dimanche à 17 h 30.
Tél. : 01.43.35.32.31.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 



 


P r e s s e


28 février 2005

Portrait

Farid Chopel, 52 ans, Perle rare des one-man shows, silhouette des années 80, il a sombré pendant dix ans dans la drogue et l'alcool et revient au spectacle en miraculé
.


Hors d'eau

La silhouette n'a pas changé, identifiable entre mille. Du moins pour qui se souvient des années 80 médiatico-culturelles, people avant l'heure : des shows délirants où l'on se presse (les Aviateurs), une pub Perrier qui inonde les télés, le clip du tube branché de Jean-Baptiste Mondino la Danse des mots («Danse danse des mots/c'est la danse danse danse des mots...») Et puis les heures sup': les vernissages, les fêtes parisiennes... De tout cela, l'humoriste Farid Chopel en fut. Jusqu'à plus d'heure. Jusqu'à plus soif. Au bout de la nuit. Quasiment au bout de la vie, aussi.

Aujourd'hui, il est donc au bar. Derrière la devanture, on l'appréhende de trois quarts, pantalon, pull et veste noirs, chemise blanche, casquette : titi typé, quinqua requinqué. Le lieu de la rencontre n'a pas été facile à fixer. Chez lui ? Il n'y tient pas, mal à l'aise. Un grand hôtel, au calme ? Impersonnel. Alors, faute de mieux, va pour ce bistrot du XIe arrondissement, non sans que son attachée de presse ait stipulé à plusieurs reprises qu'il «ne va plus» dans ce genre d'endroit.

Farid Chopel a un journal avec lui, un portable («deux coups de fil très courts à passer.») Il boit un café allongé, accompagné d'un verre d'eau. Belle, sa chienne fidèle, musarde entre les tables. Puis, visage émacié, sourire doux, voix un peu abîmée, Farid Chopel, dont on n'avait plus entendu parler depuis des lustres, commence à se raconter. Comme il le refait sur scène chaque soir, avec un succès croissant qui justifie l'implantation dans des lieux toujours un peu plus grands.

Spectacle éminemment touchant, puisqu'en équilibre stable entre pudeur et intimité, le Pont du milieu enjambe les vies d'un homme, qu'on écoute d'autant plus attentivement qu'il emploie le passé simple et le subjonctif, tel un pied de nez à l'univers si souvent trivial du one-man show comique. Pendant une heure trente, Farid Chopel dévide donc sa pelote, en musique (Un gamin de Paris, Etoile des neiges, le Chant des partisans, Jimi Hendrix, James Brown...) et en mots : «Où es-tu papa ? J'm'en fous» (menteur)... «Nous habitions rue du Ruisseau, français par hasard»... «L'école chez les frères Saint-Jean-Baptiste-de-La-Salle»... «L'expérience du "living theatre'', dur, violent, politique, engagé»... «Le succès»... «Les sorties en boîtes de nuit où on voyait passer un défilé stupéfiant de produits et beaucoup d'alcool»... Jusqu'à la morale de l'histoire, exergue tenant lieu de rappel (à l'ordre, également) : «A force de jouer la comédie, on finit par s'imaginer que la vie est une farce. C'est vrai. Mais il faut y croire. Il faut y croire.»

Le Pont du milieu est mis en scène par Brigitte Morel, qui partage la vie de l'artiste depuis dix ans et porte sur lui un regard tendre qui sait aussi sonder les fêlures. «Farid est quelqu'un d'extrêmement gentil, cultivé, humble et timide en société. Mais, à l'inverse, il peut se montrer très irritable et instable. Avec les deux années écoulées, et le spectacle dont on sait dorénavant qu'il tient la route, il a également appris à mettre en place quelque chose d'inédit chez lui : la patience. Et puis, travailler à nouveau représente ce qui pouvait lui arriver de mieux. Car je pense que la scène est le seul endroit où il se sent fondamentalement heureux. Où il peut exprimer ce même courage physique, intellectuel et émotionnel qui l'a entraîné à un niveau incroyable d'autodestruction.»

L'aura-t-on compris, autant qu'un spectacle, sinon plus, le Pont du milieu est une catharsis. Acte de renaissance artistique d'un personnage qui ne traversait plus les mémoires qu'au gré des diffusions télé de films dans lesquels il avait joué ­ l'Addition, thriller carcéral de Denis Amar, ou Sac de noeuds, comédie de Josiane Balasko. Pour le reste, Farid Chopel était aux abonnés absents depuis le début des années 90. Un spectacle qui se vautre, une séparation amoureuse, plus d'appartement, ni de compte en banque. «Mais je n'ai jamais couché dehors, ou souffert de la faim, il y avait toujours quelqu'un pour me soutenir»... L'engrenage atteint des degrés paroxystiques vers 1994 où, après la drogue, le saltimbanque ne fait plus «que boire, du matin au soir, dans les cafés, avec pour seul horizon, le comptoir». Souvenirs épars : «Je sortais la nuit, marchant des kilomètres, jusqu'à la frontière de la mort.»

Un état qui, de manière plus prosaïque, se traduit par une litanie d'esclandres, de passages au poste, de sirènes d'ambulance, de ruptures sentimentales. Un calvaire que scandent une trentaine d'hospitalisations. Comas, réanimations, état psychopathologique, dédoublement de la personnalité, psychose, semi-catalepsie. Verdict abrupt du corps médical, ainsi qu'annoncé à Brigitte Morel : «Farid va mourir. Il s'agit maintenant de le soutenir afin de préserver sa dignité.»

Mais, au bord du dépôt de bilan, survient un psychanalyste avec qui le courant passe, une hospitalisation dans une clinique privée, un «courage anormal face à la souffrance» (Brigitte Morel), une carcasse qui encaisse tous les chocs et refuse d'abdiquer. Les antidépresseurs aidant, la dépendance à l'alcool s'estompe, disparaît. Depuis quatre ans, Farid Chopel ne boit plus. La sortie du gouffre coïncide bien sûr avec les retrouvailles scéniques, en novembre 2000. «J'étais raide, pétrifié, mais pas par le trac. Il fallait juste que ça revienne physiquement. Je me demandais surtout si mon propos allait encore intéresser du monde.»

A l'évidence, oui. Car ce que Farid Chopel raconte fait sens. L'enfance française d'un gamin basané dans un milieu démuni, «situation parfois dure, mais toujours protégée», avec une mère aimante, un beau-père FLN arrêté, la DST à la maison. La félicité mosellane d'un séjour «chez tante Mathilde et tonton Maurice, les plus belles vacances de ma vie, avec les travaux aux champs». La «scolarité heureuse d'un bon élève» qu'on inscrit dans des institutions privées. L'éveil à la culture, plus ou moins expérimentale et contestataire, telle qu'on la conçoit dans les années 70, d'abord comme spectateur, puis, rapidement, comme acteur (danseur, chanteur). «Une femme me remarque à Nancy, en 1977, et me propose d'intégrer sa compagnie ; j'ai su après que c'était Pina Bausch.» L'expérience communautaire qui vire au parcours en nom propre, avec un premier show «onirico-surréaliste», Chopelia, qui lui met le pied à l'étrier. Farid Chopel joue, tourne, triomphe. «Le succès ne m'a pas étonné, c'est venu un peu naturellement, sans griserie. J'avais de l'argent, j'aimais m'amuser, flamber.» On connaît la suite. Pas encore la fin. Fort d'un bon accueil, le Pont du milieu a de sérieuses chances de jouer les prolongations.

Pendant la rencontre, le café s'est un peu rempli. A la table d'à côté, une jeune photographe asiatique qui effectue fortuitement un reportage sur les bistrots parisiens, dispose plusieurs verres remplis d'apéritifs alcoolisés et demande à Farid Chopel si cela ne l'ennuie pas qu'on aperçoive sa silhouette en arrière-plan. Il accepte avec le sourire. Et commande un autre café.

Gilles Renault

Contacts : écrire à f.chopel@voila.fr et simultanément à farid.chopel@farid-chopel.com